Légèrement freinée en 2020 en raison de la crise sanitaire, la tendance des échanges commerciaux entre l’Irlande et la France est néanmoins en nette progression ces dernières années (+11% de croissance en 2019). Si le commerce bilatéral se porte bien et fait de la France le troisième fournisseur de l’Irlande et son septième client, les liens qui unissent les deux pays devraient être amenés à se renforcer et se diversifier, à l’heure où le Brexit rebat les cartes de l’économie européenne. 

À l’occasion de la venue du vice-premier ministre Leo Varadkar – 10 jours après la visite d’Emmanuel Macron à Dublin -, rencontre avec Patrick TORREKENS, Directeur France d’Enterprise Ireland, qui accompagnait la délégation chargée de développer les investissements bilatéraux. Il revient pour Grand Paris Durable sur les enjeux visant à dynamiser les réseaux d’affaires entre Paris et Dublin.

Interview de Patrick Torrekens - Grand Paris Durable
Interview de Patrick Torrekens – Grand Paris Durable – © Enterprise Ireland

Notre agence économique agit comme un véritable accélérateur de business. Avec un focus essentiellement placé sur le TPE et PME, ce sont au total quelque 5 000 clients que nous accompagnons dans leur développement sur les marchés internationaux, dont près de 400 spécifiquement en France. Hormis le secteur agroalimentaire, géré par une entité spécialisée, nous proposons un accompagnement dans tous les secteurs industriels et de services. D’une part, notre rôle de facilitateur permet de mettre en contact des entreprises irlandaises avec des partenaires français pour nouer des partenariats commerciaux pérennes. D’autre part, nous aidons les sociétés irlandaises à remporter des projets en propre dans l’Hexagone.

L’économie irlandaise étant par proximité géographique et historique très liée à celle de la Grande-Bretagne, le Brexit a quelque peu bousculé la nature de nos échanges commerciaux et nous avons depuis lors adopté une réelle stratégie de diversification. Désormais, c’est donc l’une de nos principales priorités que de conseiller nos clients irlandais à diversifier leur activité à l’export vers d’autres marchés que le marché britannique, et notamment celui de la zone euro. 

La tendance à la progression des échanges commerciaux entre la France et l’Irlande ne cesse de se confirmer avec les années. On estime un montant à l’export de 14,5 milliards d’euros vers la France, et de 17 milliards d’euros à l’import pour l’année 2020. Au-delà de ces chiffres qui traduisent une vision macro-économique de notre balance commerciale, un fait intéressant pour le marché français est que la plupart des échanges se réalisent à travers des partenariats qui intègrent nos entreprises irlandaises dans tous les secteurs, que ce soit pour l’industrie pharmaceutique, la construction de data center ou encore pour des projets complexes comme le Grand Paris Express ou le Celtic Interconnector, pour citer quelques exemples. Depuis début 2021, Enterprise Ireland comptabilise une vingtaine de nouveaux clients et parmi eux, 70% opèrent en France à travers ces partenariats que j’évoquais. 

En raison du Brexit, nous avons connu de récents changements dans les relations commerciales entre nos deux pays, ne serait-ce que sur la question des liens maritimes. Depuis la sortie de l’UE par Royaume-Uni, les routes directes entre l’Irlande et le continent se sont fortement développées avec la nécessité d’acheminer plus de marchandises sans devoir transiter par le Landbridge (pont routier entre l’Irlande et l’UE continentale via la Grande-Bretagne, ndlr). On constate effectivement que de nombreuses autorités portuaires françaises et européennes investissent dans de futurs équipements pérennes dans cette perspective de long terme. Le prisme du Brexit permet également de constater un changement dans les écosystèmes de distribution : là où l’Irlande était fortement intégrée dans l’environnement britannique jusqu’à lors, elle traite désormais d’avantage avec l’écosystème français ou celui du Benelux, ses plus proches voisins continentaux.

Par ailleurs, la pandémie liée au Covid a illustré nos dépendances aux marchés lointains, et la volonté politique irlandais actuelle vise à développer de nouveaux marchés de proximité et durables, dont la France fait assurément partie.

Participer à la construction de la Métropole du Grand Paris est effectivement l’occasion formidable de travailler à un projet urbain complexe. Nous suivons d’ailleurs cette aventure avec grand intérêt depuis ses débuts, et le système très transparent d’appel d’offres mis en place par la Société du Grand Paris nous permet d’être tenus au courant de chaque nouvelle étape et opportunité business à cet égard.

À l’heure actuelle, quatre entreprises irlandaises sont directement impliquées dans les chantiers grands-parisiens. ECOCEM France aide aux côtés d’Eiffage Génie Civil les acteurs de la construction à réduire leur impact environnemental grâce à du béton ultra bas carbone, EQIOM est très active dans la réutilisation de matériaux, le transport fluvial et la logistique dite « verte », Cubis Systems propose quant à elle des solutions innovantes d’accès au réseau et de protection des câbles pour les projets d’infrastructures, et enfin Oradeo est l’un des principaux fournisseurs européens de services d’assistance à l’ingénierie et la construction, et s’attelle actuellement aux lignes 16 et 17 du futur métro aux côtés de Demathieu Bard.

Nous souhaitons fortement que ces sociétés impliquées permettent d’attirer dans leur sillage d’autres clusters d’entreprises, sur des chantiers métropolitains et ailleurs sur le territoire. De fait, je suis convaincu que ce projet phare peut servir de tremplin à l’investissement de nouveaux talents et expertises irlandaises sur l’ensemble du marché français.

Historiquement, nos deux pays ont toujours cultivé une proximité évidente pour coopérer efficacement. La façon de faire du business repose sur des valeurs identiques et nous partageons la même volonté de réaliser des projets communs d’envergure, à l’image des chantiers dans la Métropole du Grand Paris ou du Celtic Interconnector. Suite à la crise liée à la pandémie, les plans de relance français et irlandais comportent d’ailleurs de nombreuses synergies, notamment en matière d’économie durable et de transformation digitale, d’aide à la relocalisation d’entreprises du secteur industriel pour rapprocher les unités de production. Ce sont là des ambitions partagées et des thématiques autour desquelles les entreprises de nos deux pays développent des compétences et se retrouvent.

Aussi, les nouveaux défis d’aujourd’hui posés par le Brexit nous imposent de renforcer cette proximité et cette contiguïté de valeurs autour de l’aventure européenne. Notre engagement européen n’a jamais été aussi fort et à ce titre, l’Irlande s’inscrit entièrement dans la logique des décisions prises à Bruxelles. 

En premier lieu, cette première interconnexion électrique entre la France et l’Irlande permettra d’assurer l’approvisionnement en énergie pour une grande partie de l’île. Il s’agit donc de pérenniser et surtout de sécuriser de futures ressources. Ensuite, ce projet porté par RTE en France et son homologue irlandais EirGrid répond à des enjeux européens en matière de transition énergétique et de lutte contre le changement climatique. En effet, cette liaison contribuera à proposer de l’énergie plus durable et au meilleur prix, en facilitant l’évolution des modes de consommation vers un mix électrique à bas carbone. Et en cela, l’expertise de nos deux pays en matière d’éolien offshore servira assurément à bâtir un projet autour de la durabilité de nos ressources énergétiques.

Le lundi 16 mars, alors qu’Emmanuel Macron annonce un confinement total en France, les entreprises doivent repenser leur organisation. Comment s’est passé le confinement ? Comment la reprise des activités s’opère-t-elle dans les entreprises ? Frédéric Flipo, directeur et fondateur d’Evergaz, spécialiste du biogaz et de la méthanisation dont les bureaux sont situés dans le IXè arrondissement de Paris, nous explique comment s’organise le déconfinement dans son entreprise.

Dès le 15 mars, nous avons pris la décision de mettre toutes nos équipes administratives, financières, de direction, du bureau d’études et de développement de projets, en télétravail. Nous sommes 50 chez Evergaz, dont une vingtaine dans nos bureaux à Paris. Nous avons dû mettre quelques personnes en chômage partiel, soit car leur absence physique pesait sur l’activité, soit car elles avaient des contraintes avec leurs enfants.

Evergaz exploite aussi 14 unités de méthanisation en Europe, dont 9 en France. Sur les sites, nous travaillons 24h/24. L’activité n’a pas été perturbée car nous avons continué à récupérer des biodéchets issus de l’alimentation animale et humaine. Il était important de continuer l’activité tout en protégeant les équipes et nous avons donc mis en place un système de rotation des équipes, afin que personne ne se croise.

Nous avons donné la possibilité aux salariés de revenir dans les bureaux, sans aucune obligation. Nous établissons un planning de présence chaque semaine, afin qu’il n’y ait qu’une personne par bureau et par jour. Nous avons fermé l’espace de repas collectif et fourni des masques et du gel hydroalcoolique à tous les salariés. Des distributeurs de gel ont été installés dans les parties communes et nous avons aussi joué sur les sens de circulation : les salariés arrivent par l’ascenseur et repartent par l’escalier. Nous avons proposé des cartes de parkings aux salariés habitués aux transports en commun, qui se sentent plus à l’aise de revenir en prenant leur voiture. Ceux qui vivent dans Paris viennent à pieds ou à vélo. Sur les 20 salariés, nous sommes entre 5 et 6 par jour.

Sur les sites, le système de rotation mis en place pendant le confinement a été maintenu.

Nous sommes conscients de ce souci et tentons d’être le plus flexibles possible pour les parents d’enfants. Nous avons même proposé à ceux qui avaient potentiellement des problèmes de continuer à financer des frais de garde d’enfants.

Ce contexte a joué sur l’avancement des projets car l’état d’urgence sanitaire a suspendu certains délais. Mais nous avons avancé sur d’autres projets qui, pour l’instant, ne demandent pas d’autorisations réglementaires. Le temps de développement d’un projet est compris entre 3 et 5 ans, et l’échelle du confinement est trop petite pour les remettre en cause durablement. Pour certains projets nous attendons le retour d’un architecte ou une étude de faisabilité, mais cela n’a pas vraiment d’impact sur l’entreprise.

Nous avons un projet en chantier dans la Marne, au sud d’Epernay, qui a été arrêté pendant 3 semaines. Mais ce sont des chantiers en extérieur, les gens ne travaillent pas en milieu clos donc ça a facilité la reprise.

Pour les projets en développement ou en cours d’instruction : nous avons échangé avec l’administration qui a assuré une continuité de service. La production sur les sites a été assurée, ainsi que la livraison de digestat aux agriculteurs pour l’épandage.

Nous avons déjà plusieurs dizaines d’entreprises adhérentes. Certaines sont dépendantes de la commande publique et ont été fortement impactées par l’état d’urgence sanitaire et l’absence de second tour des élections. C’est une période durant laquelle il a été difficile d’attribuer des marchés.

Pour rebondir, nous voulons être pro-actifs, répondre ensemble à des marchés, se renvoyer des opportunités commerciales et travailler ensemble. Cette crise est l’occasion de se serrer les coudes et de jouer collectif. Nous allons également faire un gros travail de sensibilisation auprès des élus et de différents acteurs, pour bien faire connaitre nos entreprises et mettre les sujets liés à la transition écologique en haut de l’agenda.

Ce club permettra aussi de réagir à la crise actuelle en proposant des offres communes, tout en bénéficiant d’une proximité territoriale.

Après huit semaines de confinement qui ont durement impacté les entreprises et dans l’objectif de faire face aux futures crises sanitaires et climatiques, le Conseil communautaire de la Métropole du Grand Paris – réuni de façon exceptionnelle le vendredi 15 mai dernier – a adopté à l’unanimité, les 50 mesures d’un plan de relance de 110 millions d’euros. Avec ce plan, la Métropole souhaite « relancer une économie locale fortement marquée par la crise sanitaire et soutenir les différents acteurs de proximité », tout en opérant « la transition écologique de l’économie métropolitaine vers des modes de production, de consommation et d’échanges plus sobres, plus inclusifs et plus équilibrés », précise le président de la Métropole du Grand Paris, Patrick Ollier.

Ce plan, organisé en cinq axes, vise au soutien des entreprises locales, au développement des mobilités propres, à la construction durable et à l’amélioration de l’accès aux soins et aux outils numériques.

La création d’un « observatoire partenarial des dynamiques métropolitaines », intégrant des indicateurs environnementaux et d’impact sur la santé, est en effet prévue afin de faciliter l’action de la Métropole sur la santé environnementale. De même qu’un « plan métropolitain de santé et de résilience », dont la première étape sera l’établissement d’un état des lieux de l’offre de soin dans les 131 communes du Grand Paris. L’objectif est à terme, de réduire les inégalités sociales et territoriales en matière d’accès aux soins et de mettre la prévention et la santé au cœur des politiques publiques. La sécurité alimentaire sera également au cœur du plan de relance, avec l’adoption d’un plan alimentation durable intégrant le retour d’expérience de la crise sanitaire, le soutien à la production agricole locale et « l’accompagnement des communes dans leurs politiques d’achats alimentaires durables et dans la réduction de l’impact environnemental de la restauration collective des écoles maternelles et élémentaires », détaille la Métropole.

Commerce de proximité et transition écologique

Durant cette crise sanitaire, les petites et moyennes entreprises grand parisiennes ont particulièrement été touchées et la Métropole du Grand Paris compte « revivifier le tissu économique et culturel de proximité » avec la participation à hauteur de 14 millions d’euros au fonds mutualisé Résilience Ile-de-France pour les TPE et PME. Le dispositif « Mes commerces à domicile », en partenariat avec la CCI Paris Ile-de-France, proposera par exemple une cartographie des commerçants pratiquant la livraison à domicile et la vente à emporter. La Métropole va également accompagner les « managers de centre-ville » dans la phase de déconfinement, avec la création d’outils de dialogue dématérialisés et la digitalisation des commerces. Les entreprises de l’économie sociale et solidaire et les jeunes entreprises innovantes seront aussi particulièrement accompagnées.

Piste cyclable, 108 Boulevard Brune-Paris – © Vivepat/Wikimedia Commons

Le plan de relance s’appuie également sur l’accélération de la transition écologique et le développement de l’intermodalité et des mobilités douces. Ainsi, la Métropole va adopter un plan vélo métropolitain, doté de 10 millions d’euros dès 2020. Elle compte aussi mettre en place une Zone à faibles émissions (ZFE) métropolitaine, développer les énergies renouvelables et de récupération, ou encore favoriser la création d’infrastructures vertes et d’îlots de fraicheur, « dont l’agencement permet de respecter les mesures de distanciation sociale », précise le plan.

Lutter contre les précarités énergétique et numérique

L’accélération de la rénovation énergétique des logements figure également dans ce plan, avec notamment l’élargissement du dispositif de financement des audits énergétiques des copropriétés, comme prévu dans le Plan Bâtiment Durable métropolitain. Ce plan de relance prévoit également le soutien du secteur de la construction dans le cadre de l’aménagement du territoire : gestion des déchets du BTP, partenariats entre la Métropole et les acteurs des filières de la rénovation et de la construction, ou encore, financement des études de maîtrise d’œuvre des communes pour les projets structurants.

Enfin, la crise sanitaire et le confinement qu’elle a imposé, ont révélé une fracture numérique que la Métropole compte réparer. Le plan de relance a pour ambition « d’accompagner la transition numérique avec le renforcement du financement de la formation des publics fragiles via le Pass numérique et le déploiement d’un maillage métropolitain de ressourceries de recyclage de matériel informatique », explique la Métropole.